J'ai 26 ans, diplômée en droit et en communication, et j'accepte, ou plutôt César accepte ma candidature pour être son assistante, la fonction mémoire de sa vie, de son travail, de son atelier, de ses pérégrinations, de ses joies, car tout est inséparable. En 1989, César me demande de noter ce que je vois, ce que j'entends, « il faut bien que quelqu'un le fasse ». Ce qui suit est une accumulation d'anecdotes, de petites ou grandes histoires, drôles ou tristes, enthousiasmantes ou sordides, por tant sur presque dix ans de collaboration, de partage, de complicité, de rires, de colères avec un des plus grands ar tistes français. Ce n'est pas un récit, mais un témoignage au plus près du « Maître ».
Proche de la cinquantaine, Lamo a quitté son travail depuis une dizaine d'années pour réaliser le rêve de sa vie : être un artiste plasticien. Il essaie de trouver sa place dans le monde de l'art. Fernande, sa compagne, travaille dans une banque et souhaiteavoir une belle maison, des enfants, un labrador. Marie, sa collègue célibataire, a du charme, pas très intelligente, spontanée, sans affectation, sans ambition particulière. Jo, l'ami d'enfance de Lamo, a cramé l'héritage de ses parents, il monte à la capitale pour trouver un travail dans les assurances alors qu'il rêve depuis toujours dedevenir chanteur.
JO. - Qu'est-ce que tu crois qu'il va te rester à la fin de ta vie, Lamo,
ta fierté héroïque ?
LAMO. - Qu'est-ce que tu crois qu'il va te rester à la fin de la tienne,
crétin des Alpes ?
FERNANDE. - Qu'est-ce qu'il va nous rester, c'est vrai, on n'y pense pas.
MARIE. - Moi, je crois qu'on est là pour jouir des plaisirs de la vie...
Qu'est-ce qu'il va nous rester ? Ça...
Lamo. - Marie, ma p'tite Marie... Vous qui êtes bien placée, vous
pensez que Dieu a demandé un prêt à la banque pour créer l'Univers ? ça donnerait quoi avec toutes les options ?
MARIE. - Ben...
Rares sont les grands personnages de l'histoire, et notablement les artistes, qui n'ont pas croisé à un moment donné de leur vie la personne qui voyait en eux un génie. Le plus souvent, ces personnes n'ont jamais fléchi dans leur foi, leur admiration et leur amour inébranlables pour leur « créature ». Tout en restant dans l'ombre pourtant, leur présence a aidé à faire basculer le destin de ces grands. Madeleine Béjart est l'une de ces personnes et Molière l'un de ces grands. Sans l'oeil averti de Madeleine, comédienne déjà célèbre et reconnue, Jean-Baptiste Poquelin aurait peut-être poursuivi sa carrière de juriste ou de tapissier, comme son père l'avait toujours souhaité. Sa rencontre avec Madeleine est la pierre angulaire de son destin. Elle sera son ange gardien, sa « maîtresse femme », qui va tout supporter jusqu'à l'inacceptable : la liaison de Molière avec Armande, enfant présumée du couple.