Paul Ricoeur a tenté une réhabilitation du politique par le souci accordé au droit. Il s'agit pour lui à la fois de faire crédit à la capacité des sujets a viser un bien commun et de tenir compte de la fragilité tant des personnes que des institutions.
Ces deux orientations s'entrecroisent dans une pratique du jugement qui interprète le juste dans la singularité des situations, tranche et distribue ce qui revient à chacun et contribue à reconstruire un lien social possible.
a pensée et l'oeuvre de Pierre Bayle (1647-1706) forment une énigme, depuis toujours objet d'un conflit des interprétations. En butte aux persécutions qui précédèrent la révocation de l'édit de Nantes, il préféra l'exil à Rotterdam. Sa revue les Nouvelles de la République des lettres constitua une des premières formes de l'espace public européen, et on a pu dire de son fascinant Dictionnaire historique et critique (1696) qu'il constitua la matrice des Lumières. Dans son Commentaire philosophique, où il fait l'apologie de la tolérance, il critique l'oppression religieuse de "la France toute catholique". Mais dans son Avis aux Réfugiés, il fustige toute sédition religieuse des protestants réfugiés. L'intrication de ces deux lignes, qui remontent de Hobbes et Machiavel, d'une part, et d'autre part de Milton et Bodin, jusque chez Calvin, aide à comprendre les paradoxes politiques, et politico-théologiques, fondateurs d'une modernité aujourd'hui en crise. En cherchant à penser ces "différends", Bayle invente un style d'écriture pluraliste, délinéarisée, qui correspond au caractère oblique de son plaidoyer pour la sincérité de l'autre.
En trente ans, La justification de l'Europe a bien changé : en 1989, son utopie motrice en faisait une société ouverte. L'Europe attirait ses alentours et tendait les bras aux pays de l'Est. Ce qui a fait l'originalité de l'Europe, son identité, son idée, c'est que ses sources ont toujours été plurielles, mixtes, entrelacées. Mais aujourd'hui, le fracas de l'Europe se traduit à la fois par des démagogies nationalistes, qui dénient cette mixité, ainsi que par le scepticisme néolibéral et techniciste, qui prétend faire le vide de toute idéologie, de toute utopie, de toute tradition. Comment, dans ce vertige, repenser l'Europe ? Il semble indispen-
sable d'aller désormais au bout de ce pluralisme : pluralisme politique d'un espace commun sur lequel coexisteraient plusieurs États et qui inventerait une nouvelle forme de frontière ; pluralisme économique d'un marché qui favorise-
rait la diversité des formes de vies, de cohabitations, de communs ; pluralisme culturel qui ferait place à la multiplicité inachevée des traditions, langues et imaginaires.
Dans cet essai à la fois lucide et percutant, Olivier Abel nous offre une réflexion ambitieuse sur la vivacité de la vieille Europe.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.