« En sélectionnant et en présentant les documents proposés dans ce livre, nous avons cherché à donner une idée de la richesse de l'image humoristique en Angleterre, en France, en Allemagne et aux États-Unis - une culture dont William Hogarth fut le grand précurseur au XVIIIe siècle. Pour comprendre l'évolution des formes séquentielles qui ont fait le lit de la bande dessinée moderne, leurs interactions constantes avec des formes concurrentes dont nous ne soupçonnons plus l'existence doivent être prises en compte. Les «raisons d'être» des histoires séquentielles sont multiples, et elles ne deviennent intelligibles que si l'on tient compte des solutions alternatives qui se présentaient à ces dessinateurs.
Il faut dire que la variété des expériences menées tous azimuts par les artistes humoristiques, dans ces pays et durant cette période, met à mal toute classification et suggère au contraire l'idée d'un véritable continuum. Du rébus au roman en estampes à la Töpffer, de la caricature politique à l'illustration romanesque, du feuilleton dessiné aux «macédoines» thématiques, les illustrateurs professionnels travaillant pour le ivre et la presse au XIXe siècle prennent un malin plaisir à générer des formes hybrides et à ne laisser aucun genre intermédiaire inexploré.
Dans ce paysage décidément bien éclectique, on comprendra qu'il ne soit pas possible de fixer a priori - c'est-à-dire axiomatiquement - les limites de notre corpus. Il ne s'agit pas non plus d'aborder ces productions comme des approximations ou des tâtonnements qui tendraient peu à peu à se rapprocher de la seule forme réellement pertinente - la bande dessinée familière et transparente du XXe siècle. Nous nous proposons de les voir, au contraire, comme des formes dynamiques qui explorent avec audace leur propre espace de possibilité. Elles se rapprochent en cela des productions qui depuis une vingtaine d'années prolifèrent aux frontières du genre «bande dessinée» dans nos librairies.
À l'instar de nos auteurs les plus inventifs, les créateurs marquants du XIXe siècle aimaient, en effet, l'ironie et la prise de risques : ils innovaient, tout en revisitant souvent des modèles qui apparaissaient archaïques ou dérisoires aux lecteurs de l'époque. Pour donner corps aux pressentiments que leur inspiraient les transformations du temps - le progrès industriel en particulier - ils faisaient feu de tout bois. Chris Ware, aujourd'hui, ne procède pas autrement quand il emprunte aux origines du cinématographe, aux funnies et aux réclames des années 20, aux diagrammes didactiques des années 50, les bribes d'un langage polyphonique qui lui sert à décrire l'Amérique contemporaine. Ce dialogue entre la «préhistoire» de la bande dessinée et les formes les plus innovantes qu'elle prend aujourd'hui est l'une des justifications de cet ouvrage. » Thierry Smolderen
1 - William Hogarth, les images qui se lisent.
2 - Graffitis et petits bonshommes.
3 - Les romans arabesques de Rodolphe Töpffer.
4 - Vingt-cinq ans de romans en estampes.
5 - L'évolution dans la presse, entre institution et attraction.
6 - A.B. Frost et la révolution photographique.
7 - Du label à la bulle.
8 - McCay, le dernier baroque.